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Mathilde ANQUETIL

 

Introduction première partie. Distance obligée ou choisie en didactique des langues et des cultures : marges, clivages et issues collaboratives

 

2021 a été une année extraordinaire avec la mise en place de dispositifs d’enseignement à distance pour faire face aux restrictions dictées par la pandémie. Dès 2020 l’urgence avait produit une migration des espaces de formation,  aussi rapide qu’improvisée,  sur des plateformes plus ou moins interactives, mais on peut affirmer que notre secteur de la didactique des langues se trouvait dans une situation moins inédite que ce qui s’est passé de façon assez traumatique pour d’autres secteurs et niveaux d’enseignement. Du fait du caractère intrinsèquement international de la glottodidactique, des dispositifs avaient déjà été créés et largement diffusés, au moins depuis les années 2000, pour permettre et promouvoir la communication à distance entre locuteurs internationaux pour des tandems, des échanges linguistiques et culturels, conçus alors le plus souvent comme complémentaires par rapport aux classes traditionnelles. Citons par exemple eTwinning créée en 2005 pour former des partenariats et développer des projets scolaires pédagogiques collaboratifs entre enseignants et apprenants européens. Ou encore Galanet, une plateforme de formation à l’intercompréhension en langues romanes, réalisée dans le cadre d’un projet européen Socrates Lingua (2001-2004) . Ces projets ont par ailleurs été favorisés par le développement exponentiel des outils technologiques mis à disposition permettant d’organiser des forum synchrones ou asynchrones, chats et vidéoconférences, espaces de partage de documents, instruments d’écriture collaborative, sondages et tests qui ont été progressivement inclus rendant ces espaces “virtuels” véritablement interactifs.  Par ailleurs de nombreuses plateformes d’apprentissage des langues en autonomie avaient déjà été créées souvent en collaboration entre enseignants-chercheurs universitaires et ingénieurs éducatifs dans les Centres de Langues des universités. Le passage à une “distance obligée” a donc souvent fait suite à une “distance choisie”,  hors toute coercition externe,  justement en vertu de ses potentialités déjà explorées et exploitées par de nombreux didacticiens des langues.

Cependant 2021 a aussi été l’année où l’on a pu constater l’ampleur des décalages et clivages dans l’accès aux ressources numériques en raison de la “fracture numérique” traversant la société, mais aussi dans les inégalités d’acquisition des “compétences numériques” permettant une pleine participation même lorsque l’accès matériel est assuré. Des freins subsistent aussi dans l’accès aux mobilités internationales en particulier lorsque les conditions économiques et/ou politiques ne permettent pas des échanges internationaux en présence, d’où l’importance des télécollaborations interculturelles.  Des situations paradoxales plus criantes encore se sont créées dans un milieu déjà marginalisé comme celui de l’enseignement des langues dans les prisons où, pandémie ou non, tout accès à internet est proscrit. La plupart des études, expériences et réflexions ici rassemblées mettent en valeur les synergies qui peuvent se créer par les projets collaboratifs comme autant d’ issues face aux problématiques de la distance.

Micaela Rossi, dans Respectez les distances, réduisons la distance : une année d’enseignement à distance dans l’Université italienne, met en perspective dans une synthèse détaillée plusieurs études menées en 2021 quant à l’impact des modalités didactiques adoptées en 2020 dans le cadre d’une “didactique d’urgence”. Elle met entre autres en évidence combien les efforts fournis n’ont pas toujours abouti à l’efficacité escomptée et ce pas seulement du fait du manque de formation en méthodologie de la didactique à distance de la part des enseignants. En effet les impacts sont plus globaux lorsque sont soudain soustraits les lieux de la socialisation éducative en présence. Cependant la généralisation du recours obligé à la didactique à distance a permis aussi d’en faire émerger les potentialités, d’où de nombreux projets pour renforcer la recherche théorique et appliquée dans ce domaine au-delà du contexte de l’urgence.

Yannick Hamon dans Former à distance à la didactique du FLE en distanciel subi : le cas des Ateliers FLE Fédération des Alliances Françaises- Do.Ri.F. retrace le parcours des “Ateliers FLE”,  une  initiative co-conçue et mise en œuvre par le DORIF, dans le cadre de ses objectifs pour construire un pont entre école et université,  avec la Fédération des Alliances Françaises d’Italie, agent reconnu par le ministère italien pour la formation des enseignant-es de FLE en Italie. L’auteur focalise son attention sur la session 2020-2021 qui avait justement pour objectif d’offrir une session de recherche-action sur sur la formation à distance. A l’occasion la notion de présence a donné lieu à une réflexion constructive. Dans un bilan de recul critique, l’auteur souligne la nécessité de mise en réseau interdisciplinaire plurilingue des formations méthodologiques en didactique des langues.

Martine Derivry-Plard et Anthippi Potolia dans Télécollaborations interculturelles : favoriser la communication à l’ère numérique, retracent l’évolution du statut des télécollaboration interculturelles, avant, pendant et après le COVID et montrent combien le tout-à- distance obligé, malgré tous les dysfonctionnement qu’il a engendrés, a fait “bouger les lignes des représentations catégorielles binaires [proche-lointain, présentiel-distanciel]”. Optant pour une perspective humaniste dans l’utilisation des TICE, les auteures s’appuient sur des expériences de collaboration à distance entre la France et Taiwan, tant au niveau primaire qu’universitaire, pour relever les défis et potentialités de ces outils.  Elles plaident pour dépasser le niveau des projets expérimentaux pour aller désormais vers une diffusion et institutionalisation des dispositifs hybrides de télécollaboration qui permettent de construire “un interculturel structurant entre institutions universitaires ou établissements scolaires”.

Edith Cognigni e Paola Leone, dans  “GNILT – Globally Networked Italian Language Teaching”: uno scenario formativo di telecollaborazione per ridurre le distanze, interrogent la notion de distance dans une perspective particulière: la distance entre les rôles assumés par divers partenaires du projet GNILT et son évolution  dynamique, lors d’une session intégrée de télécollaboration: distance entre les formateurs et leurs étudiants,  entre les  futurs  enseignants d’italien langue étrangère, et enfin  entre ces futurs formateurs et des étudiants d’italien turcs et américains. Les auteures basent leur recherche sur la notion d’“agentivité” des enseignants, selon le modèle de Priestley et, grâce à une méthodologie originale et  rigoureuse, dégagent en quoi l’expérience peut  influencer divers aspects de la future agentivité des enseignants d’italien, en particulier quant à  leur capacité à analyser de façon réflexive l’expérience,  en la rapportant au contexte situationnel, comme prémisses pour acquérir  une capacité d’intervention se détachant des  modèles assez  traditionnels hérités de leur culture éducative de départ.

Enfin Hélène David, dans Faire l’école en prison. Quelles (re)compositions de l’expérience d’enseignement/apprentissage aux marges de la société ?, offre une réflexion sur une distance invisibilisée, celle qui sépare les détenus du monde extérieur, y compris numérique, une réclusion qui constitue une véritable fracture sur laquelle l’enseignant impliqué dans les dispositifs d’instruction des adultes  tente de jeter un pont pour se projeter dans un futur de réinsertion. Lieu de marginalisation disciplinaire la prison est aussi un lieu d’hyperconcentration et d’hyperproximité forcée entre détenus, de supervulnérabilité et de superdiversité linguistique et culturelle. Ces conditions extrêmes ont une influence déterminante sur la situation éducative puisqu’elles affectent jusqu’au fonctionnement neuropsychologique et à l’activité psycholinguistique des apprenants. L’auteure expose comment elle a tenté d’adapter l’intervention didactique à ce “contexte d’apprentissage fragilisé” par une microdidactique personnalisée, plurimodale, plurilingue: une éducation linguistique pour promouvoir la conscience langagière et le développement de profils linguistiques souvent tronqués par des parcours hachés. La participation de francophones dans le public constitue ainsi une occasion pour récupérer et valoriser des compétences souvent occultées.


Per citare questo articolo:

Mathilde ANQUETIL, « Introduction première partie. Distance obligée ou choisie en didactique des langues et des cultures : marges, clivages et issues collaboratives », Repères DoRiF, n. 27 – 2021 l’Odyssée des langues. La distance dans la dynamique des plurilinguismes, DoRiF Università, Roma, luglio 2023, https://www.dorif.it/reperes/mathilde-anquetil-introduction-premiere-partie-distance-obligee-ou-choisie-en-didactique-des-langues-et-des-culturesmarges-clivages-et-issues-collaboratives/

ISSN 2281-3020

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