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Mathilde ANQUETIL, Micaela ROSSI

2021 Odyssée des langues :

la distance dans les dynamiques du plurilinguisme

 

Journées d’étude des Associations Transit-lingua et DoRif-Università

 

Introduction générale

 

Les deux journées d’études qui ont réuni, les 14 et 15 octobre 2021 à Rome[1], les associations TRANSIT-lingua et Do.R.if-Università, ont été l’occasion de riches interventions et de débats interactifs, disponibles en vidéo sur la chaîne Youtube de la Fondation Primoli[2] qui a accueilli ces travaux. C’est tout naturellement que les partenaires se sont ensuite tournés vers la revue Repères-DORIF pour publier ce volume qui rassemble des articles entièrement écrits et revus à cette fin, à partir des thématiques présentées lors de la rencontre, la première en présence après de longs mois où justement la distance a constitué une lourde contrainte pour la didactique comme pour la recherche et son partage. Ce fut aux dires de tous les participants, une occasion précieuse pour renouer avec l’expérience d’enrichir et de réajuster sa pensée en la “frottant” directement aux réactions immédiates avant, pendant et après les communications, dans les lieux institués comme les ouvertures aux questions du public et les tables-rondes, mais aussi dans les moments de convivialité et les occasions de réseautage qui constituent tout le sel des rencontres interpersonnelles où la parole est incarnée.

L’idée de ces journées d’étude était venue d’une sollicitation aussi tangible qu’arbitraire comme peut l’être un anniversaire. Il y a 10 ans, s’inaugurait à Bruxelles, auprès du siège du Conseil Européen Economique et Social, l’Association TRANSIT-lingua (Travaux en Réseau, Approches Nouvelles en Situations Interculturelles et Transnationales.)

Ayant comme finalité de mettre en relation différents secteurs de la recherche universitaire et d’autres secteurs publics dans une perspective d’échange, l’association affirmait que toute langue, y compris rare, pouvait représenter un facteur facilitant la communication, donner accès à un espace mondialisé et œuvrer à la construction du lien social en luttant contre les bases linguistiques de la xénophobie et de la discrimination sociale : les langues donc, comme un facteur de développement durable. Ou en tous cas tel en est le souhait.

Engagée dans l’espace et dans le temps, soutenue par la communication facilitée par les technologies et par la mobilité consubstantielle à ses statuts et à ses membres, Transit-lingua a traversé sa première décennie dans une pratique où la distance était une modalité déclinable selon les besoins, se réduisant ou s’élargissant pour créer les conditions de la communication, de la connaissance et de l’action.  La distance était un terrain à parcourir et un temps à construire où l’objet et la méthode cherchent à se fabriquer ensemble. Et dans l’optimisme. Quand les rencontres physiques n’étaient pas réalisables, la distance était avantageusement compensée et prise en relais par les médias, la communication dite virtuelle.

Or ce qui était de l’ordre de l’aménagement et de l’alternance entre la présence et la communication à distance jusqu’en 2020 est devenu une nécessité.  La distance imposée par la pandémie a contraint impérativement à recourir, sans alternative possible, aux technologies existantes, à réinterpréter et à réinventer   modèles et modalités d’action et de rapprochement. Et c’est dans la distance qu’il a fallu — dans l’urgence et dans un laboratoire en train de se construire — interroger les effets de la distance sur les objets de notre recherche, à savoir les dynamiques linguistiques qui s’en trouvaient affectées , modifiées.

Mais c’est au regard de liens qui, partant de liens interpersonnels et professionnels préalables, se sont tissés entre les personnes et entre les associations Transit lingua et Do.Ri.F-università, que nous avons pensé ces journées comme l’occasion d’une initiative conjointe et paritaire en 2021. Cette année marque également un anniversaire pour le Do.Ri.F, à savoir la dixième année de publication de la revue Repères-Do.Ri.F. dans sa version électronique – autre signe d’un passage au virtuel, d’une distance physique qui s’annule dans le partage des résultats scientifiques de la recherche, désormais disponibles en libre accès à l’ensemble de la communauté.

La revue représente pour le Do.Ri.F un fil rouge politique, scientifique et culturel[3] ; elle rend compte des activités de l’association pour l’enseignement et la recherche “autour du français” au sein des universités en dialogue avec les collègues d’autres pays, d’autres langues, d’autres disciplines, d’autres institutions; elle réfléchit sur les politiques linguistiques, les mutations  universitaires, les évolutions sociétales vues au prisme des “langues et cultures”, en cours en Italie mais également en Europe, en francophonie et ailleurs. Il s’agit, en d’autres mots, d’un forum de moyen terme entre l’association, ses partenaires, les institutions nationales et internationales. Un lieu de connexion ayant le plurilinguisme et le pluriculturalisme comme toile de fond, où la pluralité de la composition de ses membres est un atout et où ceux-ci se reconnaissent dans des productions disciplinaires multiples, en mouvement, et dont l’objectif qualifiant est de savoir saisir les changements, l’urgence et l’importance des débats en cours, ainsi que de savoir être attentifs aux discontinuités, aux nouveaux critères philologiques et herméneutiques, aux débats qui animent les nouvelles disciplines.

Au cours de ces dix dernières années, Repères a su réduire les distances disciplinaires et géographiques, réalisant des projets de collaboration avec des chercheurs et chercheuses de différents horizons et traditions culturelles (comme l’attestent les nombreux numéros spéciaux), ainsi qu’avec le monde de la formation et des enseignants du secondaire (en témoigne le projet Ateliers didactique et recherche). La revue a offert à de jeunes chercheurs et chercheuses un espace d’expression, de partage de leurs réflexions ; le défi de l’interdisciplinarité a été l’une des constantes de la politique éditoriale du Do.Ri.F., qui se reflète dans la pluralité des groupes de recherche qui animent l’association, de l’analyse du discours aux sciences de la culture, des politiques linguistiques aux politiques éducatives.

Pour ces journées organisées conjointement, le projet était donc d’ébaucher, à dix ans de distance, au terme d’une année 2021 vécue à tous les niveaux comme une véritable “Odyssée” — et en clin d’oeil avec le film alors futuriste “2001, l’Odyssée de l’espace”—, une réflexion sur cette année spéciale: 2021, l’Odyssée des langues et la distance dans les dynamiques du plurilinguisme.

L’appel à communication a ainsi invité les chercheurs, didacticiens, acteurs de la société civile engagés dans la promotion du plurilinguisme, à interroger les langues et leurs dynamiques de diffusion, d’enseignement et d’apprentissage, scolaires ou non, rég(u)lées par les temps de la programmation ou soumises aux situations d’urgence, ainsi que l’avenir des plurilinguismes dans des sociétés en tension, au prisme de la notion polysémique de “distance”.

Le volume issu de ces journées d’études est composé de la façon suivante. Tout d’abord les deux associations, par la voix de Geneviève Zarate, membre fondateur de TRANSIT-lingua, ainsi que de Danielle Londei, directrice de la revue Repères-DORIF, présentent leurs associations et lancent la réflexion sur le concept de “distance”.

Dans une première partie, Distance obligée ou choisie en didactique des langues et des cultures: marges, clivages et issues collaboratives, les auteurs ont ciblé leur attention sur les conséquences du brusque passage à l’enseignement à distance, que ce soit dans les cours “ordinaires” ou dans la formation des enseignants. L’année 2021 a véritablement constitué une odyssée collective, synonyme de voyage semé d’embûches redoutables mais aussi symbole du pragmatisme humain dans la recherche de solutions pour poursuivre son chemin. Dans certains contextes cela a pu créer de véritables fractures et décrochages dont il est rendu compte. Cependant il ressort du tableau que le secteur des langues, avec sa dimension internationale, était déjà assez outillé pour affronter positivement la distance entre locuteurs de langues différentes ainsi que la distance entre formateurs et apprenants; le passage à des plateformes interactives a pu compter sur des acteurs experts en la matière qui ont été amenés à repenser le présentiel, le distanciel, l’hybridité. C’est le cas des télécollaborations déjà structurées dans des projets de communication internationale à distance, en particulier dans le domaine de la communication interculturelle et de la formation participative des enseignants. Ces fructueuses issues collaboratives restent toutefois difficiles à mettre en œuvre dans un milieu hors connexion, lieu de réclusion et d’exclusion par définition, comme celui de la prison, où la fragile ouverture vers l’extérieur et vers un futur de réinsertion par la formation des adultes a été presque totalement compromise par le confinement généralisé.

La deuxième partie, Distances entre systèmes linguistiques : écarts et stratégies de rapprochement, est moins liée au contexte des années COVID. Antonio Lavieri nous y embarque dans une “expérience de pensée”, au sens herméneutique du terme, l’expérience à laquelle se livre tout traducteur réflexif face à l’écart linguistique et culturel qui amène à réfléchir à une “distance sous forme d’hospitalité épistémique” ouvrant sur “un espace de l’analogie”. Les paradoxes issus de la proximité et de la distance sont aussi en jeu dans une autre stratégie de rapprochement interlinguistique, celle de l’exploitation de l’intercompréhension entre langues d’une même famille qui linguistiquement présentent de notables analogies. Deux textes en explorent les potentialités — dans la diffusion des pratiques et recherches dans la famille des langues romanes entre les continents européen, sud- et nord- américain —, mais aussi les tensions et limites, en particulier pour ce qui est des langues asiatiques. Dans ce domaine une didactique intégrée du plurilinguisme peut se heurter à des oppositions d’ordre politique; il est parfois être plus facile de collaborer à l’étranger, entre enseignants de langues très lointaines pour le public mais proches entre elles, qu’à partir des pays où ces langues sont parlées et où elles revendiquent un caractère identitaire peu ouvert au travail sur les variations et interpénétrations.

Enfin dans la troisième partie, Distances et tensions  en glottopolitique : quel avenir pour les plurilinguismes en francophonie ?, notre odyssée géolinguistique se poursuit sur le continent africain avec deux textes interrogeant l’impact de la mondialisation sur l’enseignement des langues, et du français en particulier, dans le monde arabe, ainsi qu’un texte qui à partir d’une enquête au Bénin, au Niger et en Côte d’Ivoire dresse une typologie des francophonies en Afrique de l’Ouest quant au rapport à la langue française et ce qu’elle véhicule en contexte post-colonial.

En clôture de ce volume, les actuelles coordinatrices scientifiques des deux associations esquissent une programmation pour poursuivre la collaboration inaugurée lors des deux journées d’études conjointes, avec le souci de réduire la distance entre recherche et société civile.


[1] Programme disponible sur: https://www.fondazioneprimoli.it/wp-content/uploads/2021/09/DORIF-TRANSIT-_10ans-_programme_Def.pdf

[2]Jeudi 14 octobre 2021:  https://www.youtube.com/watch?v=Aa7HFLrvi_A
Vendredi 15 octobre 2021: https://www.youtube.com/watch?v=gmfnpQMz9l0&t=590s

[3] Cette description de la revue reprend la page de présentation : https://www.dorif.it/reperes/presentation-de-la-revue/


Per citare questo articolo:

Mathilde ANQUETIL, Micaela ROSSI, « Introduction générale », Repères DoRiF, n. 27 – 2021 l’Odyssée des langues. La distance dans la dynamique des plurilinguismes, DoRiF Università, Roma, luglio 2023, https://www.dorif.it/reperes/mathilde-anquetil-micaela-rossi-introduction-generale/

 

ISSN 2281-3020

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